Peut-on être licencié pour usage des réseaux sociaux au travail ?

Peut-on être licencié pour usage des réseaux sociaux au travail ? Les règles et risques juridiques expliqués simplement.

L’utilisation des réseaux sociaux pendant le travail est une pratique fréquente, mais elle peut, dans certains cas, justifier un licenciement. Cette problématique soulève des questions importantes en droit du travail, notamment en matière de liberté d’expression, de vie privée et d’obligations professionnelles. À travers les jurisprudences récentes et les principes légaux, faisons le point sur ce que dit réellement le droit.

Le cadre légal : devoir de loyauté et liberté d’expression

Le Code du travail ne contient pas de règle spécifique encadrant l’usage des réseaux sociaux par les salariés. Toutefois, plusieurs principes s’appliquent :

  • Le devoir de loyauté impose au salarié de ne pas nuire à son employeur, y compris par des propos ou des actes tenus en ligne.
  • La liberté d’expression du salarié est reconnue en droit français. Toutefois, elle peut faire l’objet de restrictions dans le cadre professionnel lorsque cela est justifié.

L’article L1121-1 du Code du travail, dans sa version en vigueur depuis le 1er mai 2008, encadre précisément ces limitations. Il énonce :

« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

Le salarié est aussi tenu au respect du règlement intérieur, s’il existe, ainsi qu’à la confidentialité des informations internes.

L’usage abusif pendant les heures de travail

L’un des cas les plus fréquents de sanction disciplinaire concerne l’utilisation excessive d’Internet à des fins personnelles pendant le temps de travail, y compris pour accéder aux réseaux sociaux.

Dans un arrêt du 26 février 2013 (Cour de cassation, chambre sociale, n° 11-27.372), la Cour a validé le licenciement pour faute grave d’une salariée qui s’était connectée, sur son temps de travail et à partir de son poste professionnel, plus de 10 000 fois à des sites extraprofessionnels en l’espace de quelques semaines. Les sites consultés incluaient notamment des portails de voyages, des plateformes de prêt-à-porter, des comparateurs de prix, des magazines féminins ainsi que des réseaux sociaux.

Bien que l’employeur n’ait pas clairement défini les tâches confiées à la salariée, la Cour a considéré que le caractère manifestement abusif de ces connexions rendait impossible la poursuite du contrat de travail. Cette décision illustre que l’usage intensif et injustifié d’Internet sur le lieu de travail, même en l’absence de consignes précises, peut être constitutif d’une faute grave.

Publication d’informations confidentielles sur un réseau social

Un salarié peut être licencié s’il publie sur ses réseaux sociaux des contenus portant atteinte à l’obligation de confidentialité à laquelle il est tenu contractuellement.

Dans un arrêt rendu le 30 septembre 2020 (n° 19-12.058, publié au bulletin), la Cour de cassation a validé le licenciement pour faute grave d’une salariée de la société Petit Bateau. Cette dernière avait publié sur son compte Facebook personnel, accessible à plus de 200 “amis”, une photographie d’une future collection printemps/été 2015, destinée uniquement aux commerciaux de l’entreprise.

La salariée invoquait le caractère privé de son compte, mais la Cour a retenu que :

  • La diffusion à un grand nombre de contacts, dont certains travaillaient potentiellement pour des entreprises concurrentes, faisait basculer la publication dans une sphère semi-publique ;
  • La publication de cette photo constituait un manquement à la clause de confidentialité prévue dans son contrat de travail ;
  • Le procédé de preuve (photo transmise par un “ami” de la salariée) n’était ni déloyal ni illicite.

En conséquence, la Cour a considéré que cette divulgation d’une information stratégique dans un secteur concurrentiel justifiait une rupture immédiate du contrat de travail pour faute grave.

Sphère privée vs sphère publique : un critère déterminant

La jurisprudence distingue entre les publications relevant de la sphère privée, difficilement opposables au salarié, et celles tombant dans la sphère publique, susceptibles de justifier une sanction disciplinaire.

Dans un arrêt du 12 septembre 2018 (n° 16-11.690), la Cour de cassation a jugé que des propos tenus par une salariée sur Facebook, au sein d’un groupe fermé de 14 membres agréés, relevaient d’une conversation privée. Dès lors, ces propos ne pouvaient fonder un licenciement pour faute grave, ni même une cause réelle et sérieuse.

La Cour a ainsi considéré que l’employeur ne démontrait pas le caractère public des messages litigieux, ce qui empêchait leur utilisation comme fondement disciplinaire. Ce critère d’accessibilité limitée (audience restreinte et contrôlée) permet donc de préserver la vie privée du salarié.

À l’inverse, lorsque des propos sont tenus sur un compte accessible à un large public, à des centaines de contacts ou partagés librement, ils peuvent être considérés comme relevant de la sphère publique. Dans ce cas, l’entreprise peut valablement s’en prévaloir pour engager une procédure disciplinaire, y compris un licenciement.

Surveillance des réseaux sociaux et respect de la vie privée

Dans l’arrêt du 20 décembre 2017 (n° 16-19.609), la Cour de cassation a confirmé que l’employeur ne peut pas utiliser comme preuve des informations issues du compte Facebook d’un salarié si ces informations ont été obtenues de manière déloyale et en violation de la vie privée du salarié. Dans cette affaire, l’employeur avait accédé au compte Facebook privé de la salariée via le téléphone professionnel d’un autre salarié, ami Facebook de la salariée, sans son consentement. La Cour a jugé que cette méthode constituait une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée de la salariée, rendant la preuve irrecevable

Charte informatique et réseaux sociaux : un outil de prévention

De nombreuses entreprises mettent en place une charte d’usage des outils numériques, qui précise les règles internes applicables aux réseaux sociaux, tant sur le fond (ce qui peut être dit) que sur la forme (moment, outils, type de compte).

Une telle charte permet à l’employeur de mieux encadrer les comportements et de s’appuyer sur un fondement écrit en cas de procédure disciplinaire.

Recommandations pratiques pour les salariés

  • Limiter l’usage personnel des réseaux sociaux pendant le travail.
  • Ne pas critiquer publiquement son entreprise, ses collègues ou sa hiérarchie.
  • Sécuriser les paramètres de confidentialité de ses comptes sociaux.
  • Éviter toute publication qui pourrait être perçue comme un manquement à la confidentialité.
  • Lire la charte informatique de l’entreprise s’il en existe une.

Un salarié peut bel et bien être licencié pour son usage des réseaux sociaux s’il commet une faute caractérisée : propos publics injurieux, atteinte à la confidentialité, usage excessif pendant les heures de travail, ou encore non-respect des règles internes. La jurisprudence est claire : les droits fondamentaux comme la liberté d’expression ou la vie privée ne sont pas absolus en entreprise. C’est l’équilibre entre droits du salarié et intérêt de l’employeur qui est recherché.

Les employeurs doivent de leur côté encadrer et prévenir les dérives par des politiques internes claires, tout en respectant la législation sur la vie privée.

Vous vous posez des questions sur ce sujet ? Julien Reix, avocat expert en droit du travail, peut vous accompagner dans l’analyse de votre situation particulière.

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